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9 avril 2024 2 09 /04 /avril /2024 18:08

 

Il y a plusieurs années, j’ai été invité à un colloque sur la Guerre de 100 ans au cours duquel j’ai proposé un exposé sur un épisode guerrier ayant concerné le nord du Bourbonnais en 1369. L’article que je rédigeai à cette occasion n’a jamais été publié, à mon grand regret.

Je décide aujourd’hui de le sortir des oubliettes de l’édition historique régionale et de vous le livrer dans son intégralité. Bonne lecture!

 

 

 

Le siège de Belleperche

 

Cette fin d'été 1369 semblait pourtant s'écouler en toute quiétude pour les habitants du nord du Bourbonnais. Depuis le retour de captivité du duc Louis de Bourbon, les bandes de routiers qui avaient mis la région en coupe réglée quelques années auparavant n'avaient plus fait parler d'elles dans cette région meurtrie. La guerre, elle même, s'étaient déplacée très loin au nord du royaume, menée par quelques grands chefs militaires dont le duc Louis, rassemblés autour du roi Charles V. C'est alors que les populations du duché de Bourbon savouraient la paix retrouvée que l'imprévisible se produisit: une chevauchée conduite par des routiers cantonnés en Poitou, franchissant le Cher, se rendit maîtresse de la belle forteresse de Belleperche, dans la vallée de l'Allier, s'emparant d'un otage de haute naissance, Isabelle de Valois, mère du duc de Bourbon et belle-mère du roi Charles.

 

Les sources

 

L'historien a à sa disposition deux chroniques en langue française pour connaître le détail et la chronologie des évènements qui mirent Belleperche au centre de toutes les attentions dans les mois qui suivirent la prise du château par les alliés des Anglais. Jean Froissart (1) , brièvement, évoque l'épisode dans ses Chroniques. Beaucoup plus prolixe, Jean d'Orronville, dit Cabaret (2), consacre deux longs chapitres de sa chronique du bon duc Loys de Bourbon à relater avec précision l'ensemble des manœuvres qui conduisirent tant à la prise qu'à la libération de la forteresse bourbonnaise. Nécessairement suspect d'une subjectivité bienveillante à l'égard du duc de Bourbon dont il entreprend de relater les hauts faits de guerre, le récit de Cabaret a été confirmé comme source crédible par les travaux d'Olivier Troubat (3).

On regrettera qu'aucune campagne archéologique sérieuse n'ait jamais été entreprise sur l'un des trois sites sur lesquels nous allons nous pencher. Seules les observations sur le terrain et les photographies satellites peuvent venir compléter les textes narratifs médiévaux.

 

La chevauchée gasconne

 

La réussite de l'expédition menée par les routiers alliés des Anglais contre le château de Belleperche tient autant à un heureux concours de circonstances qu'à une excellente connaissance du territoire adverse et de ses faiblesses. Ce sont d'abord un, ou des espions, qui portent la nouvelle de la présence de la duchesse Isabelle de Valois dans la vallée de l'Allier jusqu'au quartier général de la compagnie de mercenaires gascons cantonnés à Niort. S'agit-il d'observateurs infiltrés à la solde des Anglais ou plus vraisemblablement de Bourbonnais demeurés complices des anciens occupants du duché bien après leur retrait en Guyenne, au retour du duc Louis? Grâce à cet, ou ces individus, les officiers commandant les routiers comprennent que tout en maintenant le risque d'échec à un niveau raisonnable, ils disposent d'une opportunité sans pareil de se saisir d'un otage dont il peuvent espérer tirer une forte rançon. Si l'objectif est éloigné de leur base, les capitaines gascons peuvent tirer partie de conditions stratégiques favorables. Le Cher, seul obstacle naturel sur leur route, en cet fin d'été 1369, est en période de bas étiage, et peut être franchi par des chevaux en de multiples points de son cours, sans éveiller l'attention. L'itinéraire choisi chemine dans un environnement bocager et forestier, à l'écart des villes fortifiées, idéal pour progresser sans alerter les populations. Arrivés en vue de Belleperche, les routiers ont confirmation de ce qui leur avait été révélé par leurs informateurs: la place est gardée par une garnison dérisoire et dilettante. Aucune alerte n'a mis les défenseurs sur leur garde. Les Gascons se rendent maîtres des lieux avec un minimum d'efforts, neutralisant les sentinelles par ruse. Une fois le reste des défenseurs éliminés, les routiers s'organisent pour que la citadelle nouvellement conquise soit prête à soutenir un siège. Cet exploit stratégique, pourtant, n'est pas le premier coup d'éclat à mettre au crédit des routiers. Quelques jours auparavant, une autre place-forte, la Bruyère-l'Aubespin, était déjà tombée entre leurs mains.

 

Prise et reconquête du château de la Bruyère

 

Comparativement aux évènements qui assombrirent le quotidien des habitants de la vallée de l'Allier au cours des longs mois de l'hiver 1369-1370, le drame que subit la petite citadelle de la Bruyère-l'Aubespin a presque valeur d'anecdote, et ne tient qu'une place réduite dans les chroniques du temps. Moins étudié que la bataille de Belleperche, cet épisode est pourtant plein d'enseignements pour comprendre la stratégie adoptée par les alliés des Anglais pour organiser leur chevauchée en Bourbonnais.

L'observation des ruines de cette petite citadelle et de son environnement immédiat est riche de détails qui permettent de reconstituer le plan de bataille des Gascons.

Même si aucune source ne cite ce toponyme au cours des premiers siècles de la féodalité, on peut estimer que la Bruyère-l'Aubespin est un lieu fortifié dont les bases sont antérieures au grand mouvement de mise en défense des lieux habités consécutif aux débuts de la Guerre de Cent Ans. On reconnaît, à travers les plans cadastraux, les photographies aériennes et l'orientation du parcellaire agricole, les vestiges d'une triple enceinte primitive dont les murs de la forteresse forment l'amorce. La Bruyère-l'Aubespin, vue du ciel, se présente comme un vaste enclos demi-circulaire entouré d'un large fossé humide. A l'angle Nord-Ouest se dressent les ruines de ce qui semble avoir été un donjon flanqué d'une chapelle. Une partie de l'enceinte garnie de tours rondes est encore en élévation. Sans être spécialiste en castellologie, on comprend, en découvrant le lieu, la fragilité de l'ensemble. La Bruyère n'exploite aucun avantage naturel pour assurer sa protection, à part, peut-être, la générosité de la nappe phréatique qui emplissait ses fossés. Le château trône au milieu d'un bocage sans relief et ses défenses apparaissent sommaires et bien fragiles devant un ennemi décidé. La Bruyère-l'Aubespin, place facile à prendre était, comme nous le verrons, tout aussi facile à perdre.

Pourquoi les routiers surgis du Poitou ont-ils jeté dans un premier temps leur dévolu sur ce site en particulier? Tout d'abord, les sources sont muettes sur les circonstances de la prise de la Bruyère. Fut-elle investie par la ruse, par la force, ou était-elle prête à accueillir la chevauchée gasconne? L'histoire a montré que les Anglais et leurs alliés avaient noué de nombreuses complicités en pays bourbonnais lorsque que son duc était captif en Angleterre depuis la défaite de Poitiers. Rien ne prouve qu'il y ait eu bataille pour s'emparer du petit château. Si ce fut le cas, ses structures ne souffrirent pas car il était intact lors du siège qui permis aux Français de s'en emparer.

Plusieurs arguments plaident en faveur d'un choix réfléchi des capitaines gascons se dirigeant vers Belleperche. La Bruyère-l'Aubespin était d'autant plus facile à atteindre qu'elle était une des places les plus proches de la vallée du Cher. Bien que voisine des villes fortes de Cérilly et d'Ainay-le-Château, fidèles au duc Louis, aucun contingent local n'aurait été assez nombreux, une fois rapidement réuni, pour en organiser le siège. Le dernier élément, je crois, déterminant pour un capitaine de chevauchée, est la grande cour intérieure qui occupe l'essentiel de l'espace fortifié de la Bruyère, et sa capacité à accueillir un nombre important d'équidés. Il est plus que probable que les Gascons aient choisi la petite citadelle de la Bruyère pour y organiser une base de repli prête à servir de refuge au gros de leur troupe en cas d'échec devant Belleperche. Maintenir une présence routière dans les murs de la Bruyère était un calcul dicté par la prudence mais qui se révéla catastrophique pour les occupants de la petite place forte.

Sitôt connues les prises de la Bruyère-l'Aubespin et de Belleperche, les Français réagirent en cherchant d'entrée à priver les Gascons de toute chance de repli organisé. La Bruyère, assiégée par le comte de Sancerre à la tête d'une troupe comprenant des contingents civils mobilisés par les villes franches bourbonnaises, n'eut pas les ressources pour tenir tête à ses assaillants. Son large fossé en eau fut facilement comblé par des végétaux servant de passerelle. Son mur d'enceinte, en petit appareil, ne résista pas à une sape protégée par un chat, preuve que la troupe conduite par le capitaine berrichon comprenait des soldats rompus aux techniques de siège. L'assaut se conclut par la capture des routiers survivants, qui furent traités selon leur hiérarchie: les chefs, dont on pouvait espérer tirer une rançon, furent séparés de leurs hommes. Le sort réservé à ces derniers fut particulièrement inhumain. Les combattants bourbonnais auxquels les mercenaires gascons furent abandonnés ramassèrent de quoi élever un bûcher où furent suppliciés ces routiers dont les semblables avaient ravagés quelques années avant ces campagnes dans lesquelles le vent dispersa leurs cendres. Le contingent gascon enfermé dans Belleperche avec ses otages se retrouvait ainsi isolé et bientôt assiégé.

Le château de Belleperche

 

A parcourir les descriptions et à détailler la gravure qui subsiste de la forteresse de Belleperche, on comprend les raisons qui amenèrent Isabelle de Valois, de passage dans la région, à faire une étape prolongée, et fatale pour sa liberté, dans cette demeure du val d'Allier. Outre sa position très plaisante dominant le cours de la rivière, le château n'était éloigné de Moulins que de quelques lieues, ce qui facilitait son approvisionnement pour contenter les besoins de son invitée et de sa cour. Les Gascons s'emparèrent d'ailleurs de la place un jour de marché dans la basse-cour, en se faisant passer pour des boulangers de Moulins.

Belleperche, toute belle résidence qu'elle était, n'offrait pas moins le caractère rassurant qu'exercent les grandes forteresses sur les gens qui viennent s'y abriter. Ceint de profonds et larges fossés secs, le château exploitait pour sa défense la protection naturelle que lui offrait le fort dénivelé de terrain qui l'isolait de la basse terrasse alluvionnaire de l'Allier. Flanquée de cinq tours, la muraille crénelée protégeait un haut donjon de base rectangulaire dominé par une tourelle d'escalier qui faisait un point d'observation idéal pour surveiller les alentours. Une large porte à deux tours (4) commandait le pont-levis. A l'extérieur, un relief pouvant correspondre aux restes d'une ancienne motte castrale servait de base à une barbacane assurant une protection avancée de l'entrée. Il suffit de constater le peu d'effet qu'eut l'emploi de grosses machines de siège contre ses murailles pour comprendre que Belleperche était une place-forte solide dont Louis de Bourbon pu mesurer les qualités, à ses dépends.

Le long siège de Belleperche a été parfaitement décrit et analysé par Olivier Troubat (5). Tous les récits de la bataille nous amènent à une unique conclusion: malgré les hommes -nombreux- et les moyens -inédits dans les régions du Centre en ce dernier tiers du XIVe siècle- engagés par Louis de Bourbon pour délivrer sa génitrice, la forteresse, bien que dévastée, a résisté. L'âge de ces grands châteaux féodaux n'était pas encore révolu.

 

Les machines de guerre de Chantelle

 

Une troisième place-forte, Chantelle, joue un rôle secondaire dans la campagne de Belleperche, en tant qu'arsenal de l'armée assiégeante. Ce très ancien site défensif est, au moment des faits, occupé par un imposant château-fort bénéficiant d'excellentes défenses naturelles. Isolé loin des limites du duché, sans ville importante à proximité, Chantelle n'est certainement pas un lieu de séjour prisé par l'aristocratie régionale. Ses atouts stratégiques en font, en revanche, un endroit idéal pour organiser un dépôt de machines de guerre dont nous n'avons pas le détail précis, mais que le récit de Cabaret permet d'imaginer. Le duc de Bourbon y possède de lourdes arbalètes montées sur affuts, dont six sont mises en batterie sous les murs de Belleperche. Ces « grosses arbalestes de Chantelle », maniées par deux servants, ont la capacité de tirer des traits à une distance et avec une puissance inégalées à l'époque et se révèlent particulièrement meurtrières lors de la bataille. Le chroniqueur évoque brièvement la présence de canons sur le théâtre de l'affrontement, sans en préciser le nombre. Ces pièces d'artillerie font peut-être partie de l'armement mobile ordinaire des troupes du duc, mais peuvent aussi provenir de l'arsenal de Chantelle. Louis de Bourbon fait de plus venir sous les murs de Belleperche des machines dont la nature n'est pas précisée dans les textes mais qui lui permettent de cribler de lourdes pierres les murailles du château où est détenue sa mère. La puissance des impacts qui terrorisent la pauvre femme au point qu'elle supplie son fils de faire cesser le bombardement de sa prison peut indiquer que ce sont des trébuchets qui furent mis en œuvre pour venir à bout de la résistance des geôliers d'Isabelle de Valois, mais aussi pour repousser l'armée anglaise venue au cours de l'hiver 1370 tenter de délivrer les routiers assiégés. Cet armement particulier, lourd et peu commode à déplacer sur de longues distances était certainement entreposé à Chantelle. Il est plus difficile de se prononcer sur l'origine des chausse-trappes que les soldats du duc de Bourbon semèrent autour de leur campement pour freiner l'attaque des fantassins anglais et qui causèrent de graves dommages dans les rangs des assaillants. Ces pièges peuvent avoir été forgés sur place comme provenir des arsenaux de Chantelle.

 

Le campement français.

 

En dépit de l'usage massif d'artillerie à pierre et à poudre pour réduire à merci les occupants de la forteresse de Belleperche, les vieux murs, quoique ébranlés, tinrent sans faillir, au point que le duc Louis et ses commensaux durent se résigner à cantonner sur place dans l'attente de jours plus fastes.

La topographie du champ de bataille n'offrait aux assiégeants que peu de choix pour s'établir. Les  quelques reliefs propres à offrir une protection naturelle au futur campement étaient soit trop proches des remparts pour être hors de portée des tirs d'arbalètes routiers, soit trop éloignés pour garantir l'isolement de la zone de combat. En plus, le nombre croissant de chevaliers français venant rejoindre la troupe conduite par Louis de Bourbon poussait à sécuriser un large périmètre où cavaliers, combattants à pied et chevaux pourraient trouver un gîte acceptable. L'incertitude sur la durée de la campagne, que tous espéraient brève, plaidait en faveur de l'équipement d'une structure provisoire dont l'abandon se ferait le jour venu sans regrets. Les chroniques contemporaines relatent l'élévation d'un enclos faiblement fossoyé et palissadé d'une dizaine d'hectares, bâti à la hâte, mais ne donnent aucun indice pour situer précisément son emplacement.

 

A la recherche du camp perdu

 

N'ayant pas reconnu le terrain méthodiquement, faute des autorisations de prospection nécessaires, il convient de rester très prudent sur les informations qui suivent. L'auteur de ces lignes n'a vu du site de Belleperche que ce qui est accessible du domaine public. Cette approche, nécessairement tronquée, n'est d'aucune utilité pour tenter de situer l'emplacement de l'enclos qu'occupèrent les Bourbonnais et leurs alliés pendant de longs mois d'automne et d'hiver 1369-1370, et en vue duquel parvint un fort contingent anglais venu délivrer, en vain, les routiers assiégés. Sans support archéologique, il reste à l'historien quelques hypothèses que des sources indirectes peuvent venir étayer.

Il est fort douteux que la troupe aux ordres du duc Louis, une fois le château convoité évacué par ses occupants (6) ait mis un soin quelconque à déconstruire le clos fortifié où elle avait campé et à combler le fossé d'enceinte. On peut donc admettre que le retranchement médiéval n'a pas tout de suite disparu du paysage et a pu laisser des traces dans le parcellaire actuel. Sur les plans cadastraux, une parcelle en particulier attire notre attention. Un vaste polygone d’une superficie d’une dizaine d’hectares, compatible avec les mesures (mais sont-elles fidèles à la réalité ?) données par les chroniqueurs médiévaux est situé juste en face de l’ancienne porte de Belleperche. C’est également face à cette porte que le polygone offre son flanc le plus court. Stratégiquement, présenter une façade réduite aux tirs de l'archerie adverse serait le meilleur des choix qu’un militaire puisse faire. Le toponyme « le Champ soudard », relevé à l'est de la parcelle, attire l'attention. Peut-être avons nous là un écho du souvenir des troupes à pied ayant campé sur place.

Les clichés satellite livrent eux aussi des indices intéressants, quoique inutiles pour évaluer l'emplacement de l'ancien retranchement français. A l'ouest de Belleperche s'étend un vaste massif forestier, la forêt de Bagnolet dont la lisière suit parallèlement, de façon assez régulière, le relief de la vallée de l'Allier. Or, à l'aplomb du Champ soudard, les vues verticales révèlent un mitage forestier conséquent, fait de clairières et de retraits du couvert végétal (7). Si on se souvient que la palissade du camp ducal a pu mesurer plus de 1300 mètres, en partant d’un chiffre moyen de cinq pieux au mètre, on peut évaluer les besoins du génie bourbonnais à 6500 pieux, soit près de 3000 petits arbres abattus dans la forêt la plus proche. On sait aussi, selon les écrits de Cabaret, que les Anglais venus avec l'intention de délivrer Belleperche campèrent dans la forêt voisine de la forteresse. Le duc de Buckingham a certainement choisi un lieu dégagé comme camp de base et il est probable, si l’hypothèse précédente est juste, que ces clairières ont abrité temporairement contre les rigueurs de l’hiver bourbonnais chevaux, matériels et hommes venus croiser le fer dans la vallée de l’Allier.

Quelques vestiges.

 

De cette aventure mouvementée qui conduisit tant d’hommes de guerre dans le duché de Bourbon, le paysage bocager a conservé quelques traces, peu spectaculaires, des forteresses impliquées dans les combats.

En grande partie détruit à l’époque moderne, le château de Chantelle n’offre plus au visiteur que la vue de reliefs datant du premier âge féodal et de murailles qui ne lui permettent que de se construire une image imparfaite de ce que fut cette place avant son éradication.

La pire destruction fut commise à Belleperche. Mutilée par les tirs des machines de guerre du bon duc Louis, la construction subit un début d’incendie nocturne déclenché à dessein par les routiers. Cet embrasement du grand logis sema la confusion dans les rangs français et permit aux assiégés d’évacuer les lieux sans dommage en emmenant avec eux leur captive. Le feu, vite contenu par les hommes du duc ayant pris possession du château déserté, ne provoqua pas de désordres irréparables dans le bâti. Un siècle après les évènements, le géographe Nicolas de Nicolay décrit avec force détails la citadelle, à l’abandon, mais pas en ruines (8). J’ignore par qui et quand fut entreprise la déconstruction de l’ensemble, mais l’examen du site prouve qu’elle fut méthodique. Il ne subsiste sur place aucune pierre de taille ni gisement de gravats. Les fossés n’ont pas été comblés et on ne remarque aucune preuve significative de réemploi d’éléments d’architecture dans les hameaux voisins. Par satellite, on note l’existence de chemins reliant l’ancien château-fort aux berges de l’Allier. On peut donc supposer que Belleperche servit de carrière pour alimenter en matériaux un ou plusieurs chantiers de construction riverains du fleuve. Une prospection subaquatique du lit de l’Allier aurait peut-être des choses à nous apprendre.

 

C’est en définitive à la Bruyère-l’Aubespin que le souvenir de la campagne de Belleperche reste le plus présent. Sans doute peu endommagée par le court siège mené par les contingents bourbonnais, la place redevint un lieu de résidence pour l’aristocratie locale. Sa ruine, bien postérieure aux évènements précédemment décrits, n’a pas complètement effacé les murailles et les fossés qui ne continrent que brièvement les combattants venus laver l’affront fait à leur duc et à sa mère.

 

Notes

 

1. Chroniques de Jean Froissart, livre premier, § 628, publiées pour la Société de l'histoire de France par Siméon Luce (puis d'autres). 1869-1899

 

2.  Orronville, Jean d'. La chronique du bon duc Loys de Bourbon, XXVII-XXIX, publiée, pour la Société de l'histoire de France par A.-M. Chazaud. 1876

 

3. Olivier Troubat, La Guerre de Cent Ans et le Prince Chevalier le « Bon Duc » Louis II de Bourbon, 1337-1410, Volume I, Publication du Cercle d'Archéologie de Montluçon et de sa région, 733 pages, Montluçon 2001

 

4. Les châteaux de Billy, dans l'Allier, et d'Ainay-le-Vieil, dans le Cher conservent des dispositifs défensifs analogues.

 

5. Troubat 2001, pp 415 à 450

 

6. Après avoir mis le feu à une partie des bâtiments pour tromper leurs adversaires, les routiers, sans être inquiétés, purent s'échapper, emmenant avec eux leur otage, qui ne fut délivrée que des semaines plus tard au château de Broue, près de Marennes.

 

7. La carte topographique du secteur révèle la présence de plusieurs haies perpendiculaires au cours d'un ruisseau au lit encaissé, souvenirs probables d'étangs asséchés qui peuvent aussi expliquer l'absence de végétation à l'ouest du champ de bataille.

 

8. Nicolas de Nicolay, Description générale du Bourbonnais en 1569 ou histoire de cette province, chapitre CXLIII

 

 

© Olivier Trotignon 2021 et 2024

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10 février 2024 6 10 /02 /février /2024 12:20

 

En pleine Champagne berrichonne s’élèvent les ruines d’un château fort qui mérite toute notre attention : l’ancienne forteresse de Paudy, non loin d’Issoudun, dans l’Indre. Dans un paysage de plaine céréalière de faible relief se voit de très loin la haute tour d’entrée d’un ensemble malheureusement très incomplet dont on distingue bien la forme sur les clichés satellite du site Géoportail.

 

 

L’ensemble était bâti sur un plan carré, l’entrée se situant face au village, au milieu de la muraille exposée au sud-ouest. La photo aérienne montre les vestige d’une tour angulaire à l’angle nord de la fortification. On peu supposer (les sources archéologiques sont rares) qu’un donjon occupait la partie centrale de la cour intérieure, comme c’était le cas pour de nombreuses forteresses régionales. Le tout était défendu par des fossés humides, en partie à sec aujourd’hui, mais qui étaient encore dans les années soixante un lieu de pêche pour les enfants du village, comme le montre une sympathique photographie trouvée sur le site Delcampe.

 

La tour d’entrée garde les traces d’un puissant système de défense organisé autour d'un pont-levis doublé d’une herse et protégé par des mâchicoulis. Le tout paraît dater du XIIIe siècle, avec un ajout post-médiéval dans la façade de la tour : une grande pierre blasonnée portant les armes d’une des familles propriétaires de l’endroit. Cette tour était un lieu d’habitation en plus de sa fonction militaire: des latrines extérieures sont encore en place, évacuant les matières dans les fossés.

 

 

En cherchant dans mes notes, j’ai retrouvé ce qui semble la première mention de ce château. Dans un acte des Archives départementales du Cher se trouve l'indication d’un conflit daté de 1154 entre le seigneur Raoul d’Issoudun, qui vient de bâtir Paudy et les chanoines de Saint-Étienne de Bourges (cote 8 G 1383).

Sans doute confié à la garde d’un prévôt ou autre officier seigneurial, ce château n’est pas une seigneurie autonome et laisse très peu de traces dans les actes anciens. Ce n’est que plus tard, quand il devient la propriété de familles qui en font leur fief que la nom de Paudy se retrouve dans les archives. Je prends pour exemple un article de 1888 paru dans un Mémoire de la société des Antiquaires du Centre qui évoque la présence à une montre des nobles du Berry, à Bourges en 1491 d’un de ses seigneurs, équipé en homme d’armes avec trois chevaux. Le reste concerne la généalogie et nous donne peu d’informations sur la forteresse elle-même.

Un point important : le château de Paudy est une propriété privée. Il est inutile de venir ennuyer les gens qui habitent sur le site, le plus beau de ce qui subsiste des ruines étant accessible de l’espace public.

 

 

© Olivier Trotignon 2024 sauf : photographie satellite ©Géoportail et photo en noir et blanc ©Delcampe.

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15 juillet 2023 6 15 /07 /juillet /2023 09:32

Plusieurs d’entre vous savent les liens particuliers que j’entretiens avec la forteresse médiévale puis post-médiévale de Montrond, à Saint-Amand-Montrond, dans le Cher. Bien avant de commencer mes études en Histoire, j’y avais été bénévole puis y avais animé la partie archéologique avant de m’en faire exclure, cible de jalousies et de médiocrités qui ne méritaient pas de réponse. J’ai mis des années à accepter de retourner sur ce site chargé de souvenirs, aujourd’hui bien différent de l’image que j’en avais gardé.

Bâtie au XIIIe siècle, agrandie aux XVe et XVIIe, la forteresse de Montrond, ruinée, démantelée et transformée en carrière de matériaux, avait presque disparue du paysage. Seul émergeait un tronçon de tour éventrée. Puis, peu à peu, le déblaiement, la fouille et la restauration des murs anciens ont fait apparaître les bases d’un des plus grands châteaux des Berry et Bourbonnais (géographie politique qui a évolué au cours du temps).

Les travaux achevés, les vestiges de la forteresse ont été aménagés pour la visite et accueillent diverses animations estivales.

 

Je croyais presque tout connaître jusqu’à ce que l’équipe qui anime le lieu (que je remercie sincèrement pour son accueil) me fasse découvrir un espace d’exposition qui complète parfaitement la visite des ruines. C’est  cet espace, moins connu que les musées locaux, qui a retenu toute mon attention.

Dans un ancien local à vocation industrielle, que nous considérions (à juste titre), comme une verrue dans le paysage urbain ont été aménagées des salles d’exposition sobres et lumineuses dans lesquelles, outre une collection lapidaire d’éléments sculptés découverts sur place, sont disposés des supports pédagogiques indispensables à la compréhension de cet ensemble défensif complexe: maquettes, gravures, panneaux explicatifs… La visite permet en outre de se faire une idée des pièces d’artillerie engagées lors du siège de la place, lors de la Fronde.

Vous pourrez aussi y voir un objet auquel je suis particulièrement attaché: une statue d’aigle que j’ai eu la surprise de découvrir en 1979 tout près de l’ancien donjon. Peu majestueuse (les proportions du volatile sont plutôt celle d’un gros poulet) mais peu importe, cette pierre est, et sans doute pour longtemps, le plus bel élément sculpté trouvé au cours des fouilles de naguère.

Je serais très étonné que vous ressortiez déçu de votre visite.

 

Olivier Trotignon 2023

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2 avril 2022 6 02 /04 /avril /2022 09:26

 

Depuis quelques mois, la presse régionale a rapporté toutes les incertitudes qui entourent la possible réouverture à la visite de la forteresse médiévale de Culan, fermée depuis des années, et frappée d’un certain nombre de désordres du bâti qui pourraient conduire le site à la ruine. 

J’ai été contacté pour émettre un avis sur la façon dont pourrait être organisé le peut-être futur accueil des visiteurs. Après avoir visité la place-forte des combles aux caves, et m’appuyant sur les recherches menées depuis ma Maîtrise sur l’histoire de Culan -recherches non communicables en l’état, pour éviter le pillage intellectuel de mes résultats- j’ai proposé un projet d’aménagement des espaces ouverts au public respectant l’histoire du château et de ses environs, faisant litière des aspects légendaires auréolant le passé de l’endroit.

Je n’ai, à ce jour, reçu aucune réponse à mes propositions. Il me serait pénible que mon temps passé à rassembler les éléments appuyant mon argumentaire soit définitivement perdu et que mon texte réapparaisse plus tard sous une autre signature. Je porte donc à votre connaissance, pour information, mon avis d’historien sur un dossier qui attend encore, en ce début avril 2022, une heureuse conclusion.

 

 

 

"Bonjour monsieur XXXX

 

vous m’aviez, lors de notre visite, demandé mon avis sur des éléments susceptibles de permettre une réouverture du château de Culan à la visite, dans le cas où le Conseil départemental du Cher deviendrait propriétaire de cet ensemble.

Bien entendu, les réflexions qui suivent n’engagent que moi, et s’appuient sur mon expérience de médiéviste et conférencier indépendant n’ayant jamais été concerné par la moindre aide de la part d’organismes privés ou publics pour la menée de mes recherches. Ma parole est donc complètement libre.

 

L’histoire proprement dite de la forteresse n’est pas documentée. Seules l’archéologie et la castellologie peuvent permettre d’avancer des hypothèses sur les différentes phases de construction du château. Cette absence de données n’est pas propre à Culan. La plupart des bâtiments médiévaux de la région, militaires, civils ou religieux souffrent des mêmes lacunes documentaires.

Culan, en revanche, est un des rares sites fortifiés médiévaux régionaux a avoir été construit et possédé par une famille qui a laissé d’assez nombreuses traces dans les archives. La plupart des autres châteaux du Moyen-Âge local en état d’être visités n’ont pas cet avantage.

C’est, je pense, un point de départ possible pour réorganiser à partir de connaissances attestées, et non plus de postulats invérifiables, un circuit de visites dans le château.

Les Culan sont présents dans le paysage politique local depuis la fin du XIe siècle jusqu’à la Guerre de 100 ans. Au long de ces plus de trois siècles, nous les voyons doter les abbayes et prieurés locaux, participer à une croisade, à une chevauchée, affranchir Vesdun, battre monnaie, être impliqués dans différents conflits locaux et nationaux et, enfin, participer à la libération d’Orléans.

Il me paraît possible, avec un budget raisonnable, d’organiser à l’intérieur des espaces secs (hors caves) une formule de panneaux d’exposition garnis de textes et de photographies illustrant les diverses activités auxquelles les Culan ont pris part, avec des fac-simile de chartes et sceaux, des maquettes de la forteresse à divers stades de son évolution. L’ensemble gagnerait à être complété par des tenues militaires propres à chaque grande période, de facture moderne, qui garantiraient l’intérêt du public pour des armements souvent méconnus, avec lesquels le bric-à-brac actuellement visible dans les pièces du château n’a qu’un rapport lointain.

N’ayant pas poussé mes recherches au-delà de la fin de la période médiévale, je ne dispose que de très peu de données sur la période allant de la Renaissance à la Révolution, mais il y a très certainement des moments forts, comme la Fronde, à illustrer selon le même principe.

Un tel choix permettrait de fournir au personnel en charge des visites une trame narrative facile à suivre. Cela donnerait à Culan un statut original dans une région où la période médiévale est peu valorisée, hors quelques sites religieux. Un trait d’union est possible avec Noirlac, dotée par les Culan. Des panneaux et des équipements légers (proches de ce que les Archives départementales produisent lors de leurs expositions temporaires, de grande qualité) pourraient être facilement déplacés pour libérer des salles pour des manifestations ponctuelles.

Avec un minimum d’équipements (chaises, vidéo-projecteur, sonorisation ponctuelle), l’intérieur du bâtiment a la capacité d’accueillir des conférences, débats et colloques dans un cadre plus attractif que les ordinaires salles des fêtes souvent retenues pour ce type de prestation.

La cour du château me paraît assez vaste pour accueillir certaines troupes de reconstitution médiévale offrant des prestations de qualité. Culan pourrait se distinguer par des animations estivales offrant au public une vision du passé sans les stéréotypes racoleurs habituels des fêtes dites médiévales.

Dans une perspective plus étendue que le simple cadre de la forteresse, Culan peut offrir au public un point de départ pour des itinéraires culturels dans la moitié Sud du département ouvrant sur les musées, le patrimoine historique et pourquoi pas naturel de la région, favorisant l’économie locale et l’attractivité d’un territoire intermédiaire entre Berry, Auvergne et Limousin."

 

 

© Olivier Trotignon 2022

 

 

 

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22 avril 2021 4 22 /04 /avril /2021 09:41

 

Je me souviens encore, alors que nous effectuions des prospections sur le tracé de la future autoroute A 71, au début des années quatre-vingt, du retour au camp de base d’une de nos équipes: une motte féodale avait été découverte et un tel évènement avait de quoi mettre en liesse notre petite communauté d’archéologues. Ce n’est que bien plus tard qu’il me fut donné de constater que l’enquête bibliographique préalable aux visites sur site avait été réalisée avec une certaine légèreté par ce qu’on appelait encore la Direction des Antiquités Historiques du Centre (ancêtre de la DRAC): la motte des Grands Fossés avait été identifiée presque cent ans plus tôt et était visible autant sur le cadastre napoléonien que sur les photographies aériennes des années cinquante.

 

Je suis retourné voir cette motte qui m’avait laissé le souvenir d’un site atypique.

La butte médiévale est érigée sur une pente de terrain très faible, mais suffisante pour récolter des eaux de ruissellement propres à garder humides ses fossés. Ce modèle est connu sur d’autres ouvrages défensifs locaux (mottes et maisons-fortes). Sa plate-forme est curieusement concave, marquée par la trace d’une excavation assez récente (sans doute consécutive à une recherche de trésor). Il est possible que l’assise de l’ancien donjon se soit tassée avec le temps, produisant cet effet de cuvette assez déroutant.

 

 

 

La seule activité qu’on y constate est la présence de sangliers qui utilisent ses fossés pour se souiller.

La fonction primitive de cette motte reste à définir. Le cadastre et les photos d’altitude ne révèlent aucune structure annexe, comme une basse-cour. Les fermes voisines sont à portée de vue, mais aucune n’est vraiment proche du site (cette situation s’observe dans d’autres communes du secteur). Enfin, même si la région est assez bien documentée, je n’ai mis en évidence aucune relation entre ce lieu-dit et la hiérarchie féodale locale.

La solution est peut-être à chercher autour de ces anciens chemins, encore visibles sur les premières photos aériennes et victimes du remembrement. Nous savons que la région  était assez active aux XIIe-XIIIe siècles: plusieurs seigneurs, prieurés et granges cisterciennes sont connus dans un périmètre proche. La hiérarchie qui a pris l’initiative d’investir ses deniers dans une petite forteresse aux Grands Fossés avait peut-être un objectif plus économique que militaire.

 

© Olivier Trotignon 2021

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24 janvier 2021 7 24 /01 /janvier /2021 17:52

Il n’est plus question de présenter l’abbaye de Noirlac. Ce monastère, dont les bâtiments imposants et apaisants illustrent parfaitement l’architecture cistercienne, n’a pas toujours été le lieu de paix et de recueillement que certains se plaisent à imaginer en visitant son cloître et ses jardins. L’abbaye fut même durement touchée par les incursions anglaises des années 1360. La région, partagée entre les deux duchés de Berry et de Bourbonnais (Noirlac était en Bourbonnais) pâtit de la détention en Angleterre des deux ducs Jean de Berry et Louis de Bourbon, faits prisonniers à la bataille de Poitiers.

Plusieurs incursions anglaises et la présence dans le pays de soldats en maraude convainquit l’abbé de fortifier son couvent. Un acte des Archives départementales du Cher, daté de 1423 confirme la permission donnée antérieurement par le connétable Charles d’Albret, tenant le château de Montrond, de fortifier Noirlac, d’y bâtir un fort et d’élire une capitainerie pour commander cette nouvelle place-forte. En 1489, un autre acte, passé au château de Montrond, décharge l’abbé de l’obligation de rémunérer le capitaine sur les revenus du monastère. En 1524, le fort est encore opérationnel, toujours commandé par un capitaine.

La confirmation de Guillaume d’Albret des droits accordés par son père avant 1423 donne des détails intéressants. Il est question de fortifier le bâti existant et de construire un fort, aujourd’hui totalement disparu du paysage monumental. Ce fort pourrait être ce donjon, signalé par plusieurs auteurs, dont l’emplacement reste un sujet de débats. En revanche, les différentes opérations d’archéologie préventive menées ces dernières années par les chercheurs de l’INRAP ont prouvé la présence d’un fossé, certainement en eau au vu du contexte hydrologique du site, comblé lors du démantèlement du fort, qui correspond certainement à ce qu’entendait le seigneur d’Albret lorsqu’il évoquait la fortification du site. On notera enfin la présence de plusieurs meurtrières calibrées pour des couleuvrines dans le mur du dortoir des convers.

Ces ultimes éléments de protection armée de l’abbaye rappellent que du début de la Guerre de cent ans jusqu’aux troubles de la Fronde, au XVIIe siècle, la région de Noirlac connut des épisodes violents contre lesquels les moines avaient appris à se protéger.

 

© Olivier Trotignon 2021

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7 novembre 2020 6 07 /11 /novembre /2020 15:00

 

Il subsiste, dans la commune creusoise de Leyrat, un intéressant vestige du premier âge féodal. Visible partiellement de la route et surtout observable sur photos satellites, le site castral de la Motte-au-Groing fut, indubitablement, le lieu de résidence d’une des plus anciennes familles chevaleresques du Berry du Sud et du Nord-Est de la Marche.

Nous retrouvons des mentions de ses seigneurs depuis le dernier tiers du XIIIe siècle, période à laquelle un certain Pierre le Groing (Gront, ou lo Gron, dans la langue de l’époque) participa à la refondation du prieuré bénédictin de la Chapelaude, dans l’Allier. Ses descendants s’intéressèrent aussi au sort des abbayes cisterciennes de Bonlieu et des Pierres.

Un autre Pierre le Groing apparaît, bien plus tard, comme exécuteur testamentaire du Seigneur d’Huriel Louis de Brosse, tué à la bataille de Poitiers. Les le Groing portent alors les titres de chevalier ou seigneur. Au début du XVIe siècle, l’un d’eux est qualifié de vicomte.

Si cette famille est bien restée sur place pendant un demi-millénaire, il est évident que le centre de leur pouvoir a connu des modifications qui peuvent expliquer une certaine confusion sur l’interprétation des données archéologiques présentement accessibles.

Nous observons sur place une grande élévation circulaire encore en grande partie entourée de fossés en eau. Cette motte, qu’on peut qualifier de féodale (le terme de seigneur est attesté en 1249 et 1263) est d’une très faible hauteur, sans commune mesure avec les importants terrassements de celles de Saint-Désiré ou d’Epineuil-le-Fleuriel.

 

Au nord, le cadastre napoléonien révèle une deuxième enceinte fossoyée contigüe à la motte, également entourée d’eau, mais surtout beaucoup plus vaste.

Il me semble qu’on doit reconnaître là non pas une seconde motte (la forme singulier du toponyme : la Motte, ne plaide pas en faveur d’une construction gémellaire) mais plutôt d’une première basse-cour. 

 

 

L’examen du parcellaire existant permet de constater au Nord-Nord-Est des parcelles citées un ensemble de haies et de chemins formant un tracé vaguement circulaire ressemblant beaucoup aux restes d’une seconde basse-cour, beaucoup plus étendue.

 

 

Un schéma se dessine. A l’origine, existaient une motte servant de base à un château de bois, et une basse-cour. Cette a peut-être été arasée pour permettre de construire un donjon de pierre (cette évolution, dans la région, permet aux féodaux de se faire reconnaître comme seigneurs). Il est aussi possible que la vieille motte ait été conservée comme symbole de l’ancienneté du pouvoir de la famille le Groing, et que le château de pierre se soit construit dans l’espace, assez vaste, de la première basse-cour. Un autre château, plus dans le goût du temps, a pu venir remplacer la forteresse féodale à la Renaissance. Le linteau armorié serait un de ses restes.

Le temps a effacé les vestiges de pierre pour ne conserver que les fossés primitifs, utiles comme viviers ou pour faire boire les animaux.

Le site complet de la Motte-au-Groing mériterait une investigation archéologique pour rendre son passé plus lisible.

 

Le lecteur notera que la motte à laquelle est consacré ce billet est une propriété privée et que son approche est soumise au strict respect de la Loi.

 

© Olivier Trotignon 2020

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22 septembre 2020 2 22 /09 /septembre /2020 13:42

 

Les journées du Patrimoine 2020 ont été l'occasion de pouvoir visiter le très intéressant château de la Motte-Feuilly, dans le sud du département de l'Indre. Cette petite forteresse est composée de bâtiments élevés à la Guerre de cent ans et remaniés à la Renaissance ainsi qu'à des périodes beaucoup plus récentes. La motte castrale éponyme, si elle était bien à l'emplacement de l'actuelle enceinte, n'a laissé aucune trace. Outre la présence de fossés humides sur le site - l'eau était recherchée pour assurer la sécurité des châteaux primitifs en bois -un élément végétal remarquable pourrait bien être, de manière assez paradoxale, le dernier vestige de la première occupation militaire du lieu.

Poussant à quelques dizaines de mètres du rempart, en légère surélévation par rapport à l'assise de la Motte-Feuilly se trouve un énorme if que les botanistes reconnaissent comme pouvant être millénaire, donc contemporain des premières mottes castrales. 

Cette essence n'est pas indigène. L'arbre n'a pu survivre dans un paysage agricole qu'avec l'aide l'homme: ses baies et ses feuilles, toxiques pour les herbivores, le condamnant à l'éradication par les cultivateurs du cru. Chacun connait, en revanche, l'intérêt que le bois d'if suscitait auprès des militaires médiévaux. Souple et résistant à la torsion, ses qualités pour l'archerie étaient sans égales. Il n'y a donc rien d'extravagant à admettre que cet arbre à pu être planté avant le début des croisades par des hommes d'armes prévoyants.

 

 

© O. Trotignon 2020

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27 mai 2020 3 27 /05 /mai /2020 10:20

 

Il m’est arrivé plusieurs fois de me servir de vieilles photographies pour étayer certains billets de ce blog. Contrairement à notre époque héritière d’un exode rural massif et de la disparition de nombre d’activités informelles dans le monde rural, le moment où les photographes qui ont installé leurs trépieds pour saisir sur la plaque de leur appareil l’image de ce qui les entourait était encore celui des animaux de ferme qu’on menait brouter toute la végétation à leur portée. Ainsi, moutons, vaches, chèvres, ânes entretenaient des lieux aujourd’hui envahis par des bois et des broussailles.

J’ai choisi d’exploiter aujourd’hui cette très intéressante carte postale de la motte castrale élevée dans le bourg d’Épineuil-le-Fleuriel, à laquelle j’avais consacré un article et une conférence il y a quelques années.

Cette motte est un patrimoine connu et protégé, que rien ne menace. L’équipe municipale que j’avais rencontré sur place connaît parfaitement la valeur historique et archéologique de ce vestige. Le seul handicap dont souffre cet endroit est la couverture végétale qui le recouvre, et qui rend difficile la lecture du site, même pour des visiteurs habitués à ces restes de châteaux primitifs.

L’ancienne carte postale de la motte offre une vue très nette de l’ensemble. La vague impression de dôme donnée par les cimes de l’actuel bosquet est trompeuse : le tertre défensif est surmonté d’une plate-forme qui servait de socle au donjon primitif. On remarque la forte pente de l’ouvrage et le reste de fossé qui assuraient une partie de la défense du château de bois.

Je ne saurai que vous recommander, si vous passez en vallée du Cher, de faire un détour par Épineuil. Outre ce vestige médiéval et l’école du Grand-Meaulnes, le pont-canal et le hameau éclusier qui le borde méritent d’être découverts.

 

 

© Olivier Trotignon 2020

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13 octobre 2019 7 13 /10 /octobre /2019 14:46

En l’absence presque totale de textes narratifs se rapportant à la féodalité berrichonne antérieure à la Guerre de 100 ans, la connaissance de certaines conditions de vie au quotidien dans les châteaux-forts repose le plus souvent sur des postulats. Si on admet généralement que les seigneurs ou leurs représentants habitaient, avec leurs familles, dans les donjons, à la fois logis et symboles de souveraineté, la question du logement des personnels attachés à la défense des forteresses est rarement mis en avant. 

Si, depuis longtemps, les médiévistes ont réfuté l’image caricaturale d’un Moyen-âge dominé par des conflits seigneuriaux permanents, les châteaux de pierre, sans être en état d’alerte continuel, réclamaient une présence armée quotidienne capable de faire face aux événements imprévus. En parallèle, les textes des XIIe et XIIIe siècles livrent parfois les noms de chevaliers portant le même identifiant toponymique que leur seigneur, ce qui laisse supposer que ces hommes vivaient au quotidien dans l’enceinte même du château seigneurial. Considérant que ces militaires étaient aussi chefs de famille, c’est dans le bâti solide de la forteresse qu’on cherchera leurs lieux de vie. Alors que beaucoup de lieux défensifs médiévaux ont été détruits, ruinés ou profondément remaniés, c’est vers un lieu fortifié de la vallée du Cher que nous nous tournons pour chercher un éventuel exemple de ces appartements où logeait la chevalerie domestique et plus précisément la porte à deux tours du château d’Ainay-le-Vieil, dans le département du Cher.

 

Une lecture rapide de la façade du monument permet d’avoir une vue d’ensemble de l’organisation défensive de l’entrée : en plus des traditionnels pont-levis, herse et porte à deux battants sont visibles trois niveaux d’archères et les corbeaux ayant soutenu un hourd aujourd’hui absent, mais dont la porte d’entrée est bien visible sous la pente du toit. Entre l’arc brisé du portail et la porte du hourd s’ouvre une petite fenêtre éclairant le niveau intermédiaire, extrêmement intéressant à visiter.

Nous sommes au premier étage de la porte à deux tours et le local se présente, à part quelques menues modifications, dans l’état originel de sa construction. L’élément frappant est la grande cheminée, qui a longtemps été vue comme le foyer où les défenseurs préparaient la fameuse huile bouillante destinée à meurtrir les assaillants supposés parvenus jusqu’à la porte. Depuis longtemps revenus des égarements de l’époque romantique, les historiens de l’architecture militaire identifient ce type d’âtre comme un aménagement domestique dédié à la cuisine et au chauffage de la pièce. Si on restitue un mobilier, qu’on met des portes et des volets aux ouvertures et qu’on place sur le sol des couvertures animales ou végétales isolant de l’air et du froid, cette pièce à l’allure austère devient habitable.

A l’étage supérieur, qui commande le hourd, la seule présence de la souche de la cheminée et l’absence de plafond isolant la charpente rendent très hypothétique un habitat permanent en période hivernale dans ce grand intérieur. 

 

Les photographies intérieures illustrant ce billet ont été prises il y a plusieurs années lors d’une visite privée. J’ignore si cette partie du château est accessible aux visiteurs

 

© Olivier Trotignon 2019

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